La peur chez le chien : génétique ou apprentissage?

Est-ce moi ou depuis une dizaine d’années, on assiste à une recrudescence de chiens peureux? Il me semble qu’il y a 20 ans, les chiens peureux n’étaient pas légion. J’en voyais quelques cas par ci et par là mais, depuis une dizaine d’années, le chien peureux est devenu 75% de ma clientèle. Le chien a peur des humains, des autres chiens, des bruits, de l’inconnu. Toutes les situations nouvelles lui causent un inconfort. Il se sent en danger et il agresse avant d’être agressé. Cette peur est la cause d’un important stress émotionnel que le chien doit apprendre à gérer et, malheureusement, ça le conduit trop souvent tout droit vers l’anxiété. Je rencontre plein de chiens dont les propriétaires et d’autres éducateurs canins leur ont apposé l’étiquette « Anxiété de Séparation », alors qu’en fait il s’avère que cette anxiété est généralisée et motivée par la peur, très souvent génétique. L’anxiété étant reliée à la peur, il arrive fréquemment que des éducateurs mélange démonstration d’anxiété avec une quelconque protection ou contrôle.

La peur est l’émotion humaine et animale la plus importante, car elle est directement reliée à la survie de l’individu. C’est la façon que le cerveau a de protéger le corps. Lorsque l’humain ou l’animal se croit en danger, les signes sont présents. Le cœur s’accélère, la transpiration se mets de la partie, les pupilles se dilatent, l’odeur corporelle change et caractérise la peur. L’odeur est perçue par les autres chiens, voilà pourquoi il est farfelu et inutile de dire qu’il faut prétendre ne pas avoir peur d’un chien à son approche. Si on a peur, notre corps nous trahira par notre odeur. L’odeur explique aussi la possible réaction dite à effet de meute que l’on peut voir dans un groupe de chiens lorsque la majorité agresse un chien peureux. D’où l’importance de ne jamais faire d’immersion sans supervision d’un vrai professionnel en comportement canin!!!

L’animal qui a peur se fige, même ½ seconde. La réaction suivante dépend de sa personnalité, de son seuil d’émotivité et de son mécanisme de défense. Le chien pourra demeurer figer, chercher à fuir, ou chercher à agresser. La peur comporte une grande partie génétique. Par exemple, les chiens de type berger ou de garde qui doivent intervenir lors d’un danger potentiel ont été sélectionnés pour réagir rapidement et avec agression face au danger. Si ce même berger ou gardien a peur et que son mécanisme de défense est actif, il y a de fortes chances que ça réaction soit de la peur agressive, communément appelée « fear biter » par les anglo-saxons. Il agressera, parce qu’il se sent agressé.

Le chien sélectionné pour être réservé envers les étrangers est génétiquement programmé avec le gène peur, c’est-à-dire le gène de méfiance envers l’inconnu. En fait, chaque sélection de méfiance afin de fuir, d’alerter à la présence d’un loup ou d’un inconnu, d’attaquer le loup et/ou le voleur est jointe au gène de la peur. La peur génétique n’est pas une simple question de race, mais une résultante de la sélection.

Le degré de réactivité de l’individu a aussi un rôle important dans l’expression de l’émotion peur. C’est le seuil d’émotivité et le mécanisme de défense du chien qui déterminent sa réaction face à la menace et au contrôle de son émotion peur. La génétique influence non seulement la couleur et la morphologie d’un chien, elle joue aussi un rôle important dans l’expression du degré de réaction de cette émotion. La peur peut se traduire par un simple inconfort ou par une panique totale avec perte des autocontrôles.

Affirmer qu’un chien a été battu ou maltraité pour expliquer la réaction de peur d’un chien prouve un manque total de connaissances réelles en comportement canin. Ça nous réconforte de croire que ce n’est pas de notre faute et ça stimule notre besoin de protéger un être faible, mais c’est très loin de la réalité. Affirmer que le problème se situe toujours à l’autre bout de la laisse est une utopie. Le chien qui a peur n’est ni timide, ni agressif… même si le chien grogne et mord! La timidité et la peur sont des émotions distinctes. L’agressivité réelle est une pathologie.

Le chien élabore deux listes dans son cerveau : ce qui est familier et ce qui n’est pas familier ou inconnu. La peur peut se traduire par un inconfort face à ce qui est non familier. Ce simple inconfort sera perceptible par le langage corporel du chien qui cherchera à éviter ou il démontrera des signes comme bâiller, renifler au sol, détourner le regard, etc. Le chien qui a peur aura souvent des signaux beaucoup plus extrêmes.

Si le chien possède un mécanisme de défense actif, il sera plus enclin à attaquer, qu’à éviter ou à fuir. Le chien qui a peur, ne fait pas la différence entre le livreur de pizza, le livreur de colis, le facteur et un véritable salopard. Ces gens sont tous des inconnus et la peur fait réagir le chien.

À la différence du chien, l’humain peut éviter le contact avec des gens s’il ressent un inconfort. Le chien doit demeurer là et subir, puisqu’il est rattaché à son propriétaire par une laisse ou obligé de demeurer dans un périmètre restreint (enclos, pièce de la maison, salle de consultation).

Beaucoup de chiens sont réactionnels aux changements dans leur routine quotidienne. Trop de chiens ont développé une hypersensibilité aux bruits et aux mouvements. Ces chiens sont désignés comme des instables émotifs. Ils ont de la difficulté à gérer leurs émotions ce qui crée en eux un sentiment d’insécurité quasi permanant. Ils peuvent charger les gens à la porte lors des départs ou des arrivées, ils peuvent sauter et aboyer en ayant l’air de fous sortis tout droit de l’asile, ils peuvent aboyer et grogner chaque fois qu’ils voient un humain ou un chien lors des promenades… Bref, ce type de chien porte fréquemment la fausse étiquette du chien agressif.

Une étude sur l’influence génétique du comportement de peur chez des chiens qui ne toléraient aucune interaction humaine (ils se figeaient et tremblaient lorsqu’on les caressait) a démontré qu’aucune marque d’affection (caresse, parole douce) pouvait calmer leur peur. L’étude a confirmé la base génétique de leur comportement. Des chiots normaux élevés par une femelle nerveuse ne sont pas devenus nerveux, alors que des chiots issus de mères nerveuses étaient tous peureux, peu importe qui les avaient élevés. (ref. For the love of a dog, Patricia McConnell PhD). En fait, il faut d’abord penser génétique dans le sens de prédisposition ou tendance naturelle à se comporter de telle façon.

Parler de génétique implique que le rôle important dans la gestion de l’émotion peur soit donné à l’éleveur. En effet, il choisit les futures mères et il est responsable des acquis indispensables pour le chiot. Il est de son devoir de choisir des mères stables et non peureuses, et de favoriser au maximum les expériences positives face à la nouveauté pendant leur développement, afin de favoriser une diminution de la peur générale.

Comment aider le chien qui a peur?

Si la peur est génétique, elle est permanente et ne peut pas être influencée. Dans la plupart de ces cas précis, le clicker ou la friandise ne fonctionneront pas. Référez-vous à la pyramide de Maslow. Un chien en mode survie se fou de la friandise. C’est là où se situe la limite de la rééducation au clicker tant vantée par les R+. Le chien hésitant ou timide peut être rééduqué de cette façon, mais pas le vrai chien peureux.

La peur est un terme général et elle n’est pas toujours négative! Un peu d’hésitation face à la nouveauté est une bonne chose et ce type de chien est plus facile à manier pour la plupart des gens, qu’un chien trop exubérant! Ce qui cause problème, c’est la peur extrême, particulièrement lorsque le chien a un mécanisme de défense actif, car pour lui, toute nouveauté constitue une attaque potentielle! L’hésitation et la timidité pourront se corriger avec l’aide de friandises, seulement si le timing est bon et si le chien ne démontre pas d’autre problème plus complexe tel que l’anxiété.

Le chiot doit obligatoirement être socialisé, mais les cours de groupe ne sont pas nécessairement la meilleure option. En effet, bon nombre de cours de maternelle oublient d’enseigner l’essentiel et ils se contentent de laisser jouer les chiots entre eux et de les stimuler par le jeu. Ils n’enseignent aucune notion d’autocontrôles, de désensibilisation et d’habituation qui sont indispensables pour les chiots. Le chiot est stimulé, sans qu’il apprenne à se calmer. Le client se retrouve avec un chien hyper enjoué, souvent qualifié à tort d’hyperactif! La nature (génétique), ainsi que l’environnement (développement et apprentissage) jouent un rôle essentiel sur le niveau de peur qu’un chien adulte pourra exprimer.

La socialisation, ce n’est pas de l’immersion, sinon le chien effrayé pourra ne jamais aimer l’humain ou les autres chiens! Un bon programme de socialisation doit exclure les expériences traumatiques. Les stimulations doivent être bien balancées, sinon on entre en sensibilisation! Au lieu d’aider le chiot ou le chien, on empire la situation.

La peur chez le chien, doit être prise au sérieux. Il s’agit d’un mal-être émotionnel qui ne fera qu’empirer s’il n’est pas traité convenablement. L’aide externe (médication vétérinaire, homéopathie, herboristerie, bracelet ultrason) est souvent essentielle pour favoriser le contact avec le cerveau du chien. Cette aide externe permet d’entrouvrir la porte afin qu’un nouvel apprentissage puisse être effectué. Les professionnels du chien réellement compétents dans ce domaine sont très peu nombreux et il ne faut pas oublier que la rééducation du chien pendant la médication devra être refaite ou poursuivie lors du sevrage, c’est-à-dire lorsque la médication ne sera plus une nécessité. C’est uniquement au retour à la normale, sans médication, que l’on pourra considérer que la rééducation aura été une réussite ou un échec.

En comportement canin, il n’existe aucun remède miracle… et le problème ne se situe pas toujours à l’autre bout de la laisse.

Publié le 8 décembre 2015 sur johannparent.over-blog.com

Auteur : Johanne Parent